Naïade

Naïade

Chapitre 1

Chapitre 1

Léna

 

Je marche dans la ruelle sombre. Je sais que personne ne viendra m'embêter. C'est dommage pour eux, pas pour moi. Par eux, j'entends bien sûr ceux qui pourraient vouloir m'agresser. Ils n'oseraient pas. Je ne vois même pas pourquoi je commence par "je marche dans la ruelle sombre". Je pourrai tout simplement dire: je suis Léna. J'imagine qu'il n'y a rien d'autre à dire sur moi.
Je rentre dans notre maison soi-disant familiale. Je ne cherche pas à ne pas faire de bruit, mon père et Liam ont le sommeil lourd, et il est deux heures du matin. J'ai encore un peu de mal à tenir debout, mais ça va passer.
Un toussotement retentit derrière moi. Liam. Il n'a peut-être pas le sommeil si lourd que ça.
- Tu comptes rentrer tard tous les jours ?
- Ce ne sont pas tes affaires, Liam.
- Arrête, Léna, si tu crois que je n'ai rien remarqué, tu te fourres le doigt dans l'œil.
- Et qu'est-ce que tu as remarqué ? je soupire, soudain lasse.
- Tu te drogues.
Je ricane. En mon fort intérieur, je me dis: Si ce n'était que ça.
- N'importe quoi.
- Tu crois peut-être que je suis aveugle, mais je sais reconnaitre les signes, surtout que maintenant tu traînes avec Liz Harris, qui, elle, clame haut et fort qu'elle se drogue.
Je n'ai même plus la force de mentir.
- C'est bon, lâche-moi, Liam ! Il fallait y réfléchir à deux fois avant de me laisser tous les jours avec Mike, pour que je fasse le sale boulot, pour que je m'occupe de la maison et de lui ! Alors ne viens pas m'engueuler, parce que tu n'es pas mieux.
Je suis consciente que je l'ai blessé, mais je m'en fiche. Je monte dans ma chambre, profitant du fait qu'il soit trop choqué pour réagir. Parfois, je me demande si maman nous voit, de là-haut. Si elle a honte de moi et de Mike - parce que seul Liam pourrait recevoir des éloges.
Je m'effondre sur mon lit et mes larmes coulent. Je déteste pleurer ; mais je ne peux même pas l'arrêter. Notre vie était tellement différente avant. D'un certain sens, je ne veux pas aller en cure, je ne veux pas abandonner la drogue même si je déteste ça. Elle me permet de m'évader. Je rejoins mon monde à moi, mon monde intérieur où maman est vivante, où Mike est redevenu comme avant et où nous sommes heureux ensemble.
Mon téléphone sonne; un message de Liz.
Demain 22h en haut de la falaise, soirée avec Ian. Alors ?
Je mets un certain temps à me décider, puis je réponds juste:
Ok.
Juste ce petit mot suffit pour signifier: "Ok, c'est reparti pour un tour. Tu ne t'en tireras pas tout de suite, Léna."
Peut-être que l'année prochaine, pour nos dix-huit ans, je quitterais la maison. Si j'ai assez d'argent. Je n'ai pas le courage de dénoncer Mike, au fond de moi, j'ai l'espoir que tout redevienne comme avant.
C'est impossible et tu le sais.
Encore cette voix. La voix de la raison, celle qui me supplie d'envoyer bouler Liz et de tout arrêter, celle qui me pousse à m'excuser auprès de Liam. Je me force à ne pas écouter cette petite voix, je préfère écouter Liz parler encore et encore, entendre le son de la voix de mon amie tandis que je suis dans mon petit monde.
Trois coups retentissent à la porte - je sais d'avance que c'est Liam. Je sèche mes larmes - heureusement que mes yeux ne rougissent pas quand je pleure. 
- Qu'est-ce que tu veux ?
Sa voix me parait étouffée derrière la porte.
- M'excuser.
- T'as pas à le faire.
- Pour ce que je vais faire, si.
Je ricane. Encore une de ses devinettes.
- Et qu'est-ce que tu vas faire ?
Il soupire et je sens qu'il hésite.
- T'envoyer en cure de désintox.
Telle une furie, je sors de ma chambre, les yeux pleins de colère.
Tu ne peux pas faire ça.
J'aperçois alors ses yeux rieurs et il explose de rire. Je lui mets un coup de poing dans le ventre.
- Idiot.
- Excuse-moi sœurette. Tu sais bien que je ne ferai jamais ça.
Sœurette. Il ne m'avait pas appelée comme ça depuis longtemps - depuis la mort de maman. Brusquement, je fais un pas en avant et je le serre contre moi. Je sens qu'il est vraiment surpris - la dernière fois que je l'ai serré dans mes bras date du temps où il m'appelait sœurette.
Après une petite seconde, il referme ses bras autour de moi. Alors je laisse mes larmes couler, pour une fois je ne tente pas de les retenir. Je l'entends murmurer:
- Chhht, Léna... C'est rien.
Non, c'est pas rien. Je veux m'en sortir, je veux que tu m'aides. Envoies-moi en cure de désintox, je te jure que je ferais des efforts. Aide-moi. J'aurais aimé lui dire ces mots, mais à la place, je me contente de hocher la tête. De capituler, et d'ignorer encore une fois la voix de la raison. Je m'écarte d'un pas et je murmure un "bonne nuit" à peine audible - je me demande même s'il l'a entendu. Je rentre dans ma chambre et j'enfile une chemise de nuit blanche. Je me démaquille et je me regarde dans le miroir, j'observe mes cheveux blonds ondulés, mes yeux gris foncé. Je suis tellemen insignifiante, la seule personne pour laquelle je compte est Liam.
Tu te trompes. Pense à Haylee et Kale, même à Liz et Ian. Ne fais pas quelque chose de stupide.
Encore cette voix... J'ai parfois l'impression qu'elle ne fait pas partie de moi. Que quelqu'un d'autre parle. Mais c'est impossible. Personne ne peut communiquer par la pensée, ça n'existe que dans les films. Je ne veux pas penser à Haylee et Kale, c'est faux. Ils ne tiennent pas à moi.
Je m'endors difficilement malgré l'heure tardive. Mes pensées dérivent sur ce moment de complicité avec Liam, sur Liz. Sur les problèmes qui remplissent ma vie encore trop petite.

***

Liam

Je ne sais plus comment me comporter avec Léna. Tout s'est tellement dégradé... Hier soir, elle a fait un effort. J'aurai aimé qu'elle me dise: je veux m'en sortir. Mais apparemment, ce n'est pas ce qu'elle souhaite. Elle ne veut peut-être pas s'en sortir. Rien que penser ces mots me fait mal. Elle a peut-être raison : c'est de ma faute. Si seulement je n'avais pas fui, si je n'avais pas été lâche, on se serait entraidés, elle serait toujours la Léna que je connais - ou presque. Presque,'parce que jamais rien ne sera comme avant, m... Elle est morte et je n'y peux rien. 
J'aurais aimé qu'elle fréquente encore Haylee et Kale avec moi. Tous les quatre, nous formions une sacrée équipe, toujours prêts à tendre des pièges, et Léna était la première à le faire. Nous connaissons Kale et Haylee depuis la maternelle - quoique je ne suis pas sûr que Léna les connaisse encore. Je reçois justement un message de Kale me demandant de l'appeler, ce que je fais.
- Kale, comment tu vas vieux ?
- Ça va ça va, et toi ? Léna a encore fait des siennes ?
Je soupire.
- Elle se drogue, Kale. Voilà pourquoi elle n'était dans son état normal.
- Merde.
Un silence se fait entendre, et Kale reprend:
- Putain, si seulement on l'avait su avant... Tu crois qu'on a mal réagi ?
- Franchement j'en sais rien. Je n'arrive pas à voir si elle veut s'en sortir ou pas. J'ai l'impression qu'elle est... Mitigée.
- Pendant tout ce temps on pensait qu'elle en avait marre de nous...
- Et c'est le cas. Elle a choisi de rejoindre Liz et Ian...
- Et on voit ce que ça a donné. Je pourrais essayer de lui parler, propose Kale.
- Ouh, laisse-lui un peu de temps. À mon avis elle n'a pas très envie de te voir.
- Ouais, autant attend
re un peu.
Je raccroche peu après. Finalement, peut-être que Kale aurait plus de chance que moi. Ils ont été amis très longtemps - meilleurs amis même. Je devrais le laisser essayer...
J'attrappe mon téléphone et je rappelle Kale.


***

Léna

 

J'enfile un jogging et des baskets noirs, et, pour une fois, je ne prends pas la peine de me maquiller. Je sors dans le froid de Décembre et je commence à courir le long des routes de Tolon. Au bout de dix minutes, je sens une présence à côté de moi, et quelqu'un enlève un de mes écouteurs.
- Léna, dit Haylee.
J'accélère l'allure pour tenter de la semer, mais elle me rattrape rapidement.
- Toi alors... On sait comment... Te faire faire du sport...
Elle me force à m'arrêter. Je contemple ses cheveux noirs, pour une fois attachés en queue-de-cheval. Ça fait combien de temps que je n'ai pas vu ses yeux plein de reproche ? Sûrement un an et demi. Elle n'a pas changé...
- On peut parler ? elle demande.
- Je n'étais pas au courant que tu voulais me parler, maintenant.
- Léna, on est désolé d'avoir réagi aussi excessivement au fait que tu souhaites aller avec... Quelqu'un d'autre.
- Ça va, tu peux très bien dire Liz et Ian. Leurs noms ne t'arrachent pas la bouche à ce que je sache.
Elle soupire, et je regrette un tout petit peu mes paroles. Vraiment un tout petit peu.
- Tu n'es vraiment plus la même, Léna. Tu...
- Arrête ton baratin, Haylee. Je sais très bien ce que Liam a dit.
- Et qu'est-ce qu'il aurait ?
Ma gorge se serre. Elle m'a eue. Je commence à traverser la grande route qui se dresse près de moi en courant, quand ne vois une voiture arriver sur moi à toute vitesse, ne cherchant même pas à s'arrêter.
La voiture aux vitres teintées me percute plein fouet, et je ne ressens la douleur qu'après avoir entendu Haylee hurler mon nom, c'est à ce moment que je réalise ce qui s'est passé. Je vole sur plusieurs mètres, roulant sur le bitume tandis que mon ancienne amie accoure vers moi. Je ne pourrais même pas dire si elle a appelé les secours ou pas, tout est tellement flou. Chaque particule de mon corps me fait mal, ma tête roule sur le côté.
- Léna ? Reste avec moi Léna, les secours arrivent. Chhht, ça va aller Léna.
Je vois une silhouette, puis deux, accourir vers nous, des personnes que je ne connais pas.
- Haylee...
Ma voix est rauque et je ne la reconnais même pas.
J'entends les secours arriver et je me laisse enfin aller. Je suis en sécurité.



25/07/2014
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